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Derniers progrès dans la lutte contre les perturbateurs endocriniens

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Kevin Bunch
Un scientifique du US Geological Survey dissèque un poisson pour déterminer les effets éventuels de l’exposition à des contaminants qui perturbent la fonction endocrinienne. Photo : USGS

On sait depuis les années 1960 qu’une catégorie dangereuse de composés chimiques appelés perturbateurs endocriniens (site en anglais) cause des problèmes de santé chez l’être humain et les espèces sauvages. Ces polluants chimiques, qui peuvent provenir de substances comme les biphényles polychlorés (BPC) ou de pesticides, comme le DDT, se sont frayé un chemin jusque dans les Grands Lacs avant que le Canada et les États-Unis ne commencent à prendre des mesures pour mettre fin à leur production et limiter leur utilisation dans les dernières décennies du XXe siècle. Depuis lors, quantité de recherches ont découvert à quel point ces substances sont dangereuses pour la santé humaine et animale, et des activités visant à améliorer leur analyse et leur filtration dans les usines de traitement des eaux usées sont en cours.

Des progrès ont été réalisés à l’échelle binationale. Selon le Rapport d'étape des Parties publié cette année, le gouvernement canadien a pris des règlements qui portent directement sur certains de ces produits, et le gouvernement des É.‑U. a récemment modifié (site en anglais) la Toxic Substances Control Act pour améliorer la réglementation. Les deux pays financent aussi des recherches (site en anglais) sur ces composés. Les efforts régionaux et locaux avancent également.

D’après Carol Miller, Ph. D., directrice du programme sur la salubrité des eaux urbaines de l’Université d’État Wayne et membre du Conseil consultatif scientifique des Grands Lacs (CCGL) de la CMI, des chercheurs collaborent avec les services d’eau et d’égout de Detroit et la Great Lakes Water Authority (GLWA) pour trouver des méthodes qui permettraient d’enlever les perturbateurs endocriniens de l’approvisionnement en eau potable (site en anglais) et d’améliorer leur analyse dans les approvisionnements en eau (site en anglais).

Selon Mme Miller, un effort accru est fait pour se servir des stations existantes de surveillance de l’eau potable dans les voies des Grands Lacs pour mesurer et suivre les produits chimiques dans l’eau, que ce soit ceux dont on sait déjà qu’ils peuvent être dangereux ou d’autres, au cas où ils s’avéreraient nuisibles dans l’avenir. Miriam Diamond (site en anglais), Ph. D., chimiste de l’environnement de l’Université de Toronto, mentionne que les principales sources de produits chimiques qui perturbent la fonction endocrinienne proviennent des zones urbaines, des usines de traitement des eaux usées et de l’agriculture (sous forme de pesticides). Par suite du vieillissement de l’infrastructure et de l’augmentation de la population urbaine, les usines de traitement des eaux usées – comme celles qui se trouvent aux environs de Toronto – doivent, selon elle, traiter un plus grand volume d’eaux usées domestiques, d’émissions industrielles (site en anglais) et d’eaux de ruissellement, sans avoir suffisamment d’argent pour l’entretien et la modernisation. Le traitement des polluants qui perturbent la fonction endocrinienne n’étant pas optimisé dans ces usines, certains peuvent se faufiler et pénétrer dans le réseau d’alimentation en eau.

Theo Colborn. Ph. D. Photo : Jrrochesterr

En 1988, une scientifique appelée Theo Colborn (site en anglais), Ph. D., a publié les résultats de recherches qui semblaient indiquer que des produits chimiques d’origine anthropique persistant dans l’environnement étaient transférés aux descendants de certaines espèces sauvages qui, sinon, ne semblaient pas présenter de problèmes. La CMI a soulevé ce sujet dans son Sixième Rapport biennal de 1992, dans lequel elle a conclu que ces substances font courir un grand danger à l’environnement et aux générations humaines futures. À ce moment‑là, le US General Accounting Office a constaté qu’aucun organisme du gouvernement fédéral des É.-U. n’avait inscrit les produits chimiques qui perturbent le système endocrinien parmi les substances pouvant représenter un danger pour la fonction reproductive ou la croissance de l’être humain, alors qu’un rapport du gouvernement canadien concluait que les effets observés chez les espèces sauvages se produisaient aussi chez l’humain.

En 1991, Mme Colborn a réuni un petit groupe de scientifiques qui travaillaient indépendamment à ce qui est maintenant appelé « perturbateurs endocriniens ». Ces scientifiques travaillaient à diverses échelles, depuis l’échelle microscopique jusqu’aux animaux sauvages eux-mêmes; Colborn les a réunis afin qu’ils puissent commencer à faire connaître le problème dans son ensemble. L’idée de l’existence de substances qui perturbent le système endocrinien a été publiée en 1997 dans le livre de Theo Colborn intitulé « Our Stolen Future » et a beaucoup retenu l’attention.

Le fait que les perturbateurs endocriniens ont une incidence sur le développement sexuel et qu’ils sont d’origine anthropique ou viennent de nouvelles utilisations de composés organiques est l’une des découvertes les plus importantes des 25 dernières années, dit Michael Twiss (site en anglais), Ph. D., membre du CCGL et professeur de biologie à l’Université Clarkson.

Mr Twiss cite la découverte dans le lac Supérieur – grâce à des recherches en cours depuis 1988 – de meuniers féminisés (en anglais) par des sous-produits chimiques de l’industrie des pâtes et papiers. Ces produits chimiques sont aussi présents naturellement dans les arbres, mais peuvent avoir des effets sur certaines espèces lorsqu’ils se retrouvent dans le milieu aquatique en quantité excessive. L’industrie a depuis fait un effort pour corriger ses pratiques, en partie à la suite de recherches effectuées par Environnement et Changement climatique Canada.

« Il y a souvent un équilibre entre les hormones, alors pour qu’une femelle soit une femelle, il y a un équilibre entre les œstrogènes et la testostérone, dit Twiss. Tout changement de ce rapport (provoqué par les perturbateurs endocriniens) peut faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. »

Les scientifiques ont appris que ces substances qui perturbent la fonction endocrinienne peuvent troubler le fonctionnement de « batteries entières de gènes », de telle sorte que des effets se font sentir pendant des générations (site en anglais) après l’exposition initiale d’un organisme, des effets appelés épigénétiques.

De façon générale, une substance toxique le devient moins lorsque sa concentration baisse sous un certain seuil. À l’inverse, la toxicité augmente à mesure que la dose de la substance s’accroît. Selon Mme Miller, la recherche (site en anglais) sur les perturbateurs endocriniens semble indiquer qu’étant donné les incidences des concentrations élevées, les scientifiques s’attendent à ce que les concentrations faibles et moyennes aient divers types d’effets.

Les scientifiques croient qu’il en est ainsi parce que les hormones sont naturellement présentes dans le système des organismes et que ces systèmes sont conçus de telle manière que des changements hormonaux relativement faibles les modifient. Étant donné que le niveau de ces produits chimiques traditionnels qui perturbent la fonction endocrinienne diminue dans les lacs et les rivières (site en anglais) il est possible que les concentrations de certains produits chimiques représentent de nouveaux dangers pour la santé.

Dans une présentation faite en septembre qui a été parrainée (site en anglais) par le Collaborative on Health and the Environment (site en anglais), la directrice du National Institute for Environmental Health Science (NIEHS), Linda Birnbaum, Ph. D., a mentionné que les perturbateurs endocriniens peuvent avoir une incidence sur le sommeil, l’humeur, les fonctions sexuelles des gens et, chez les enfants, sur la croissance générale. Ces composés peuvent servir de clés qui « emprisonnent » les hormones et disent à l’organisme d’en produire certaines en particulier, comme les œstrogènes ou la testostérone, ou d’en réduire ou d’en arrêter la production. Les effets peuvent même commencer à se produire aux niveaux se trouvant dans la « soupe de produits chimiques » dans laquelle nous vivons, depuis la pollution atmosphérique jusqu’aux aliments que nous mangeons et aux liquides que nous buvons.

« Ils ne sont pas tous artificiels; certains sont naturels, dit Mme Birnbaum. Certains se trouvent dans les aliments, certains dans les médicaments que nous prenons et il y a une question de style de vie. Par exemple, boire de l’alcool, fumer des cigarettes ou de la marijuana, toutes ces choses peuvent interférer avec l’action des hormones. »

Birnbaum estime que jusqu’à 140 000 produits chimiques sont utilisés dans le commerce partout dans le monde. Vu le nombre, il est impossible d’analyser chacun individuellement. Le NIEHS a conçu un programme qui peut dépister 10 000 produits chimiques à la fois (site en anglais), bien que cette méthode ne tienne pas pleinement compte de la variabilité génétique qui existe dans le monde entre les humains. Idéalement, a‑t‑elle ajouté, les produits chimiques seraient analysés avant d’être utilisés. Le programme sert en ce moment à déterminer quels sont ceux qui pourraient avoir un effet nuisible sur la santé humaine.

Thomas Speth, Ph. D., membre du CCGL et ingénieur en environnement de l’US Environmental Protection Agency, a fait état de certains facteurs qui limitent la capacité de mesurer les incidences des perturbateurs endocriniens. Le premier est la série de produits chimiques présents dans l’environnement qui doivent être pris en compte et le deuxième est le petit nombre de laboratoires en mesure de procéder à ces enquêtes. Bien que les scientifiques étudient un mélange de produits chimiques à la fois, ils pourraient quand même ne pas voir que certains ont une incidence.

Ce travail nous apprend beaucoup, cependant. Les chercheurs ont reconstruit l’histoire de l’utilisation de composés bromés, comme les PBDE, à partir d’échantillons environnementaux archivés (site en anglais), et ont découvert que ces composés – qui sont tous des perturbateurs endocriniens – ont passablement le même effet que les vieux composés, comme le DDT, sur le poisson et les espèces sauvages et, vraisemblablement, sur l’humain.

La pluie et l’air sont aussi des voies importantes. D’après Mme Diamond, tous les produits chimiques présents dans l’air peuvent facilement pénétrer dans le réseau hydrographique par le truchement du dépôt atmosphérique – la pollution de l’eau par la pollution de l’air – ou par la pluie. Ce phénomène est le principal facteur expliquant la présence de perturbateurs endocriniens dans le lac Supérieur, alors que les autres lacs où la densité de population est plus élevée peuvent être exposés par suite du ruissellement, a‑t‑elle ajouté.

Les produits chimiques déjà utilisés pour l’isolation des bâtiments ou d’autres biens d’équipement durables, comme les transformateurs électriques qui resteront dans l’environnement pendant des décennies, représentent un énorme problème. Associée à d’autres obstacles auxquels la vie aquatique est confrontée – comme la perte de l’habitat, le manque d’oxygène dû à de graves proliférations d’algues et les espèces envahissantes –, la perturbation endocrinienne peut avoir des incidences importantes sur la santé des lacs, a‑t‑elle ajouté

Des scientifiques prélèvent plusieurs espèces de poissons dans l’embranchement nord de la rivière Chicago afin de les analyser pour savoir s’ils renferment des produits chimiques perturbateurs de la fonction endocrinienne et des biomarqueurs de la perturbation endocrinienne, dans le cadre d’une étude qui a aussi porté sur les Grands Lacs et le cours supérieur du fleuve Mississippi. Photo : Clifford P. Rice, US Department of Agriculture

Bien que des progrès aient été faits et que les cours d’eau aient été nettoyés de certains perturbateurs endocriniens, les gouvernements ont encore du travail à effectuer pour en arriver à la « quasi‑élimination » des produits chimiques toxiques persistants dont il est question dans l’Accord relatif à la qualité de l’eau dans les Grands Lacs de 2012.

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Kevin Bunch

Kevin Bunch is a writer-communications specialist at the IJC’s US Section office in Washington, D.C.

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