Il est naturel de se tenir sur le rivage de l’un des Grands Lacs et d’admirer son immensité et sa majesté. Mais une autre ressource en eau abondante dans le bassin passe inaperçue et commande rarement une telle appréciation.
Nous parlons ici de l’eau souterraine. Entre 20 % et 40 % du bilan hydrique des lacs (l’eau totale qui entre dans le réseau et en sort) provient des eaux souterraines. Sans cette eau invisible, les Grands Lacs seraient radicalement différents de ceux que nous connaissons. Le renforcement de la sensibilisation du public et des politiques publiques visant à protéger les eaux souterraines sont des éléments fondamentaux de l’intendance des Grands Lacs.
Les eaux souterraines remplissent les pores et les fractures des matériaux souterrains comme le sable, le gravier et autres roches. Elles ne forment pas une rivière ou un lac souterrain, mais en raison de leur volume, les scientifiques ont qualifié les eaux souterraines du bassin des Grands Lacs de sixième lac.
Selon un rapport de 2015 présenté au Comité exécutif des Grands Lacs par le sous-comité sur l’annexe 8 de l’Accord relatif à la qualité de l’eau dans les Grands Lacs (AQEGL), le volume d’eau douce dans le bassin est à peu près égal au volume d’eau du lac Huron.
Les eaux souterraines sont essentielles à l’écologie et à l’économie de la région des Grands Lacs. Comme il demeure à une température fraîche presque constante toute l’année, le déversement d’eaux souterraines dans les rivières approvisionne en eau les rivières à truites. Les eaux souterraines sont également essentielles à la santé d’un rare type de terres humides appelées tourbières de prairie et elles soutiennent la santé publique et l’économie de la région.
Au Michigan, par exemple, les eaux souterraines constituent la source d’eau potable de 45 % de la population de l’État, elles sont essentielles à l’irrigation des cultures et ont un grand rôle à jouer dans le secteur manufacturier.
Malgré leur valeur, les eaux souterraines de la région sont largement contaminées par des sources comme des installations septiques défaillantes, l’épandage inapproprié de déchets d’origine animale et d’engrais agricoles, des sites industriels abandonnés où des produits chimiques ont été utilisés et des sites qui laissent échapper des gaz d’enfouissement.
La détection à grande échelle de la contamination des eaux souterraines par une catégorie de produits chimiques appelés substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS) a révélé une source de contamination qui n’était pas reconnue auparavant, soit les aéroports et les bases militaires où des mousses extinctrices ont été utilisées à grande échelle dans le cadre d’exercices.
L’assainissement des eaux souterraines contaminées est souvent difficile à réaliser et il coûte cher. Il arrive parfois que les organismes gouvernementaux choisissent une autre voie. L’État du Michigan, par exemple, a dépensé plus de 27 millions de dollars pour fournir aux propriétaires touchés un approvisionnement en eau potable au lieu d’éliminer un produit chimique toxique connu sous le nom de TCE d’une colonne de 13 billions de gallons d’eau souterraine contaminée provenant d’une ancienne installation de manutention de produits chimiques à Mancelona, à l’est de Traverse City.
Même si l’influence exacte des eaux souterraines sur la qualité des eaux de surface des Grands Lacs n’a pas été déterminée, les colonnes d’eaux souterraines contaminées se déversent souvent dans les lacs et les rivières.
« Le déversement des eaux souterraines est probablement un important vecteur [voie] de certains contaminants que l’on trouve dans les Grands Lacs », selon un rapport de 2016 présenté au Comité exécutif des Grands Lacs par le sous-comité sur l’annexe 8.
L’AQEGL reconnaît l’interconnexion entre les eaux souterraines et les eaux des Grands Lacs. On y demande au Canada et aux États-Unis de déterminer les répercussions des eaux souterraines sur les eaux de surface des Grands Lacs; d’analyser les contaminants, y compris les nutriments trouvés dans les eaux souterraines, provenant de sources ponctuelles et diffuses; d’évaluer les lacunes en matière d’information et les besoins scientifiques liés aux eaux souterraines; et d’analyser d’autres facteurs, comme les changements climatiques, qui déterminent l’incidence des eaux souterraines sur la qualité de l’eau des Grands Lacs.
Les particuliers contribuent à la contamination des eaux souterraines, ainsi qu’à leur intendance. Parmi les mesures simples à prendre pour protéger les eaux souterraines, mentionnons l’élimination appropriée des déchets domestiques dangereux, la réduction de l’utilisation d’engrais de pelouse ou l’utilisation d’engrais sans phosphore, et le soutien des efforts communautaires de cartographie des eaux souterraines et d’éducation en la matière.
Les eaux souterraines sont loin des yeux et souvent loin du cœur, mais leur importance pour la vie et la qualité des Grands Lacs est indéniable. Prendre soin des lacs, c’est prendre soin des eaux souterraines qui les alimentent.