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Les changements climatiques feront des gagnants et des perdants parmi les espèces envahissantes

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Kevin Bunch
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Les chercheurs qui modélisent les changements climatiques dans les Grands Lacs prédisent que les eaux se réchaufferont et seront sujettes à des tempêtes plus intenses dans les prochaines décennies. Ces conditions profiteront à certaines espèces et feront du tort à d’autres, qu’il s’agisse de groupes indigènes ou envahissants. Si la carpe asiatique envahit le lac Michigan, par exemple, elle pourrait trouver un habitat plus convenable si les eaux se réchauffent, tandis que les moules zébrées et quaggas envahissantes pourraient avoir plus de difficulté à former leur coquille.

Les espèces envahissantes sont des espèces non indigènes qui peuvent nuire à l’environnement, à la santé humaine et à l’économie. Comme elles n’ont pas évolué en fonction des conditions particulières qui se trouvent dans les Grands Lacs, les changements dans l’écologie des lacs peuvent contribuer ou nuire à leur efficacité dans leur nouvel environnement. Ce phénomène est décrit plus en détail dans un rapport du Conseil consultatif scientifique de la CMI sur les interactions des facteurs de stress publié plus tôt cette année.

Des facteurs propres à chaque espèce ont un grand rôle à jouer pour limiter sa propagation, et cela inclut la température de l’eau. La température de l’eau devrait être plus élevée dans l’ensemble des lacs en raison des changements climatiques, ce qui pourrait réduire l’épaisseur de la couche de glace en hiver.

Ces eaux plus chaudes pourraient causer des problèmes à de nombreuses espèces indigènes des Grands Lacs. Pour une espèce d’eau froide comme le grand corégone indigène, qui dépend de la glace pour protéger ses œufs pendant l’hiver, la minceur de la couche de glace pourrait entraîner l’élimination des spécimens juvéniles d’une année entière. Le réchauffement des eaux pourrait également réduire son aire de répartition, le poussant vers le nord dans les eaux froides et profondes du lac Supérieur ou plus loin du littoral d’autres lacs.

Ce phénomène peut aussi entraîner d’autres problèmes, a déclaré Ashley Elgin, écologiste du milieu benthique au Great Lakes Environmental Research Laboratory de la National Oceanic and Atmospheric Agency (NOAA) des États-Unis. En effet, dans ces zones extracôtières il peut y avoir moins de nourriture disponible et il peut aussi y avoir moins d’oxygène dans certains bassins et certaines baies peu profonds.

« (Les poissons) peuvent se déplacer vers une zone où les températures sont plus optimales, mais dans certaines zones, il pourrait y avoir des problèmes si la température est celle qu’ils recherchent, mais l’oxygène est en faible quantité », a dit Mme Elgin.

Certaines données indiquent que le taux de succès du frai des espèces d’eau froide pourrait également diminuer en raison des changements climatiques.

Par exemple, des chercheurs de l’État de l’Ohio affirment que des températures hivernales plus chaudes que la normale réduisent le succès de reproduction de la perchaude dans le lac Érié. Une étude a révélé qu’après des hivers chauds, les femelles perchaudes frayaient plus tôt à des températures plus chaudes et produisaient des œufs plus petits à un taux d’éclosion plus faible. Par conséquent, les larves produites ont été plus petites et moins nombreuses, et leur taux de survie a donc diminué.

En revanche, un poisson d’eau chaude comme l’achigan à petite bouche qui fraie au printemps sera probablement en mesure d’étendre son aire de répartition et de continuer de bien se porter dans un climat en réchauffement. De plus, le régime prévu de précipitations plus élevées et de températures plus chaudes au printemps pourrait également mener à un habitat plus propice à la reproduction de la carpe argentée et de la carpe à grosse tête, mieux connue sous le nom de carpe asiatique, deux espèces envahissantes que l’on trouve dans tout le bassin versant du fleuve Mississippi, a déclaré Ed Rutherford, chercheur en biologie halieutique au laboratoire des Grands Lacs de la NOAA.

Les perspectives pour les moules quagga et zébrées envahissantes sont moins claires. Une eau plus chaude peut entraîner des taux de croissance plus élevés et un meilleur succès de reproduction, mais elle peut également accroître la période estivale pendant laquelle l’eau tend à se séparer en fonction de la température, ce qu’on appelle la stratification, au cours de laquelle les moules ont moins accès à la nourriture, a dit Mme Elgin.

mussels water channel
Les moules envahissantes remplissent une canalisation. Photo : British Columbia Conservation Officer Service

 

Il est également possible que les niveaux de pH (acidité) des Grands Lacs changent en raison du réchauffement de la planète, comme on l’a vu dans les océans du monde entier.

Une eau plus acide, résultant de l’augmentation du dioxyde de carbone atmosphérique, rendrait difficile l’extraction du calcium nécessaire aux premiers stades de la vie des moules pour former leur enveloppe protectrice, a dit Mme Elgin, ce qui pourrait limiter la croissance de la population de ces espèces. Les données existantes pour faire le suivi de l’acidification dans les Grands Lacs sont inégales, bien que des efforts soient en cours pour établir plus de données de référence afin de voir comment l’acidité évoluera. Il est possible qu’un tel changement fasse en sorte qu’il soit également plus difficile pour les moules d’eau douce indigènes de former leur coquille.

Les réseaux trophiques sont également susceptibles de changer à l’avenir. Le plancton forme la base de ces réseaux, et M. Rutherford fait remarquer que des eaux plus chaudes entraîneraient normalement une augmentation de la quantité de plancton et un accroissement de son taux de reproduction, si les éléments nutritifs sont en quantité suffisante. Cela devrait se traduire par une augmentation de la nourriture pour les poissons et d’autres espèces qui dépendent du plancton.

Toutefois, les niveaux d’éléments nutritifs dans certaines eaux au large des côtes des Grands Lacs ont diminué au cours des dernières décennies, ce qui a réduit la production potentielle de phytoplancton (plantes microscopiques). En outre, les moules envahissantes sont particulièrement efficaces pour filtrer et consommer le phytoplancton, ce qui laisse moins de nourriture pour le zooplancton (animaux microscopiques) et d’autres organismes de fond. Ce phénomène a une incidence sur tout ce qui mange ces espèces dans la chaîne alimentaire aquatique, jusqu’aux grands prédateurs comme le doré jaune et le touladi.

Mme Elgin et M. Rutherford affirment qu’il faut mener davantage de recherches sur les espèces indigènes et non indigènes des Grands Lacs afin de mieux déterminer si les changements climatiques pourront les aider ou leur nuire dans les prochaines décennies.

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Kevin Bunch

Kevin Bunch is a writer-communications specialist at the IJC’s US Section office in Washington, D.C.

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