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Les feux de forêt dans l’Ouest exposent les réseaux d’approvisionnement en eau aux risques de pollution

Michael Mezzacapo

Par Michael Mezzacapo, Commission mixte internationale

L’année 2017 s’est révélée une autre année intense pour les feux de forêt dans l’Ouest des États-Unis et du Canada, mettant les infrastructures hydrauliques dans la mire. Après de nombreuses années de sécheresse, l’hiver dernier a été marqué par des précipitations de pluie et de neige au-dessus de la moyenne dans la majorité des endroits de la région de l’Ouest. Bien que les précipitations aient contribué à restaurer le manteau neigeux des montagnes et à réapprovisionner les réservoirs d’eau potable, elles ont contribué à une croissance printanière explosive de la végétation (en anglais), qui s’est rapidement asséchée à cause de la grande intensité de la chaleur et de la sécheresse de l’été.

L'incendie de forêt d’Eagle Creek dans la gorge du fleuve Columbia. Source : Service des forêts des États-Unis.
L'incendie de forêt d’Eagle Creek dans la gorge du fleuve Columbia. Source : Service des forêts des États-Unis.

Des feux comme le récent incendie de forêt d’Eagle Creek dans la gorge du fleuve Columbia à la frontière de l’Oregon et de l'État de Washington ont eu des répercussions importantes sur les ressources communautaires et détruit des dizaines de milliers d’acres de forêt. La croissance du nombre de feux est inquiétante, particulièrement pour les services d’approvisionnement en eau. En Oregon, de larges sections de forêt du bassin hydrographique (en anglais) du réservoir Bull Run, la source d’approvisionnement en eau de la ville de Portland, ont été endommagées par le feu. Alors que la population de l’ouest de l’Amérique du Nord continue de croître dans les régions boisées, le risque de dommages aux infrastructures publiques et privées causés par des incendies de forêt extrêmes s’accroît également. Une étude récente menée par le US Geological Survey (USGS) a révélé que les taux d’érosion ont considérablement augmenté dans les régions brûlées par des incendies de forêt. Cela fait en sorte que davantage de sédiments s’infiltrent dans le réservoir d’eau et nuisent aux systèmes de traitement de l’eau et aux écosystèmes aquatiques. Selon Joel Sankey, scientifique du USGS et auteur principal de l’étude, « au moins 65 pour cent de l’approvisionnement en eau dans l’Ouest provient de bassins hydrographiques renfermant de la végétation vulnérable au feu ».

Graphique montrant comment les hausses de température influent sur le risque d'incendie de forêt. Source : US Forest Service Missoula Fire Sciences Laboratory (en anglais).
Graphique montrant comment les hausses de température influent sur le risque d'incendie de forêt. Source :
US Forest Service Missoula Fire Sciences Laboratory (en anglais).

Les changements climatiques sont un autre facteur qui met de l’huile sur le feu. Un climat en proie à un réchauffement change le cycle hydrologique, ce qui intensifie les feux. Des scientifiques comme John Abatzoglou de l’Université de l’Idaho (en anglais) étudient la relation entre les changements climatiques et les incendies de forêt. Selon M. Abatzoglou, il est difficile de comprendre le rôle que jouent les changements climatiques dans l’augmentation du nombre de feux de forêt. De nombreux facteurs influent sur les feux, y compris les mauvaises pratiques d’utilisation des terres, le manque de ressources, les pratiques désuètes de lutte contre les incendies et les hausses de température attribuables aux émissions anthropiques. L’année 2017 a connu un été exceptionnellement chaud dans l’Ouest : dans la ville de Quillayute, dans l’État de Washington (en anglais), située dans la région nord-ouest du Pacifique habituellement pluvieuse et fraîche, on a enregistré une température de 37 °C (98 °F) pour la région, laquelle vient se classer au deuxième rang derrière la température la plus élevée de l’histoire. Depuis 2000, la région de l’Ouest a souvent connu des saisons de feux de forêt plus actives que la moyenne, et cela ne devrait pas ralentir de sitôt. Park Williams, bioclimatologue de l’Université Columbia (en anglais), croit que d’ici les années 2030, il est très probable que l'envergure des incendies de forêt dépasse de loin celle qu’on connaît aujourd’hui.

Source : Bruce M. Kilgore, Service national des parcs.

Source : Bruce M. Kilgore,
Service national des parcs.

Les pratiques de lutte contre les incendies qu’on utilisait dans le passé ont contribué à hausser la fréquence et l’intensité des feux de forêt. La suppression de brasiers naturels peut en fait augmenter le risque de feux de forêt. L’objectif d’une suppression totale aux États-Unis a été établi à la suite d’importants feux en 1910, où trois millions d’acres de forêt ont brûlé au Montana, en Idaho et dans l’État de Washington en seulement deux jours. Les écologistes et les gestionnaires des ressources naturelles voulaient protéger la récolte commerciale du bois et les forêts nationales nouvellement créées. Des événements comme les feux de 1910 ont cimenté une première politique visant à atteindre deux objectifs : prévenir et supprimer tous les feux.

Dans les années 1960, les scientifiques ont commencé à mieux comprendre le feu et son rôle essentiel pour la santé des forêts de l’Ouest. Au début des années 1970, le Service des forêts des États-Unis a commencé à passer d’une prévention totale des feux à une politique du « laisser brûler », permettant à certains feux dans les régions sauvages de brûler sans intervention. En 2010, la Colombie-Britannique a adopté une politique officielle similaire prescrivant la « surveillance et la gestion » des feux dans les régions sauvages, le cas échéant. Mais la distinction demeure floue entre les situations dans lesquelles un feu est bénéfique et celles dans lesquelles il est destructeur.

Ce graphique montre une carte de la zone des feux de forêt à l’intérieur et à l’extérieur du milieu périurbain, ainsi qu’un tableau détaillant le pourcentage de régions brûlées dans le milieu périurbain par état. Source : Schoennagel et coll.
Ce graphique montre une carte de la zone des feux de forêt à l’intérieur et à l’extérieur du milieu périurbain, ainsi qu’un tableau détaillant le pourcentage de régions brûlées dans le milieu périurbain par état. Source :
Schoennagel et coll.

Les villes de l’Ouest s’efforcent de suivre le rythme de la croissance démographique. Les établissements s’étendent rapidement dans les régions boisées ou dans les milieux périurbains, soit la zone de transition entre les terres inoccupées et le développement humain. Le développement humain dans les villes américaines de l’Ouest couvre désormais plus de 427 348 kilomètres carrés (165 000 miles carrés) et le risque de feu de forêt auquel sont exposés les réseaux de distribution d’eau potable ne passe pas inaperçu. Un atelier a été tenu en 2014 par la Water Research Foundation et le Réseau canadien de l’eau afin d’examiner les répercussions des feux de forêt sur les services d’eau et les mesures d’atténuation possibles. Les répercussions sur la qualité de l’eau des ruisseaux et des sources d’approvisionnement en eau des services publics, de même que sur la qualité globale de l’eau, peuvent s’étendre sur une grande distance en aval des feux et les dommages peuvent persister pendant de nombreuses années. D’importants facteurs climatiques et géographiques comme la topographie, les sols et le moment et la quantité des précipitations après les feux peuvent causer des changements dans la qualité de l’eau. De plus, la variabilité de ces facteurs rend leurs effets difficiles à prédire.

Après que les arbres et les herbes ont brûlé, il y a moins de matière organique pour absorber l’humidité lorsqu’il pleut, et certaines plantes dégagent une substance cireuse lorsqu’elles brûlent, ce qui peut créer un enduit imperméable sur les zones brûlées, lequel augmente l’érosion et le transport de sédiments. Les orages intenses poussent la vase et d’autres débris des feux dans les rivières et les réservoirs et, ultimement, dans les installations municipales de traitement des eaux, ce qui ralentit le processus de traitement. Les usines de traitement des eaux ne sont pas nécessairement conçues pour gérer les hausses de turbidité, de carbone organique dissous, de nutriments ou de métaux lourds après les feux de forêt. Si des feux de forêt se produisent dans les limites immédiates des sources d’approvisionnement en eau, cela peut réduire ou freiner la capacité de traitement.

Graphique montrant des forêts nécessitant un traitement pour réduire le risque de feux catastrophiques, évaluant la « déviation » de l’état des forêts actuelles par rapport à leur état d’origine et définissant les besoins en matière de restauration écologique. Source : Erica Simek Sloniker, The Nature Conservancy.
Graphique montrant des forêts nécessitant un traitement pour réduire le risque de feux catastrophiques, évaluant la « déviation » de l’état des forêts actuelles par rapport à leur état d’origine et définissant les besoins en matière de restauration écologique. Source :
Erica Simek Sloniker, The Nature Conservancy.

Il est difficile de prédire les prochains feux et leurs répercussions sur le bassin transfrontalier dans le Nord-Ouest. Le bassin partage des vulnérabilités avec d’autres collectivités de l’Ouest. Ryan Haugo, un écologiste forestier de Washington-Idaho, mentionne ce qui suit : « la mauvaise gestion des forêts de l’Ouest au cours du dernier siècle a rompu le lien naturel avec le feu, laissant les forêts vulnérables à des feux anormalement grands et destructeurs et à des épidémies d’insectes et de maladies. »

De grands feux poseront inévitablement un risque pour les infrastructures hydrauliques, comme le feu de Hayman en 2002 à Denver, au Colorado, qui a coûté à Denver près de 238 millions de dollars en dommages et en coûts de restauration, ou le feu de 2009 à Lillooet, en Colombie-Britannique, qui a forcé la ville à chercher des sources de rechange pour son approvisionnement en eau potable. La US Environmental Protection Agency et la Water Research Foundation recommandent que les gestionnaires de l’eau effectuent des évaluations des risques de feu de forêt dans leurs bassins hydrographiques afin de cerner les risques et de prendre les mesures appropriées pour réduire les effets des feux de forêt. Diverses approches de gestion des forêts avant et après un feu, comme le brûlage dirigé ou la création de zones de défense résidentielles, atténuent le risque de feux de forêt et peuvent réduire au minimum les effets possibles sur la qualité et la quantité de l’eau potable.

Michael Mezzacapo est boursier du programme Michigan Sea Grant de 2017-2018 et travaille au Bureau régional des Grands Lacs de la Commission mixte internationale à Windsor, en Ontario.

Michael Mezzacapo

Michael Mezzacapo is the 2017-2018 Michigan Sea Grant Fellow at the IJC’s Great Lakes Regional Office in Windsor, Ontario.

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