
La production de pétrole dans le centre-nord des États-Unis et dans l’ouest du Canada a connu un essor fulgurant depuis 2010. Le transport du pétrole à proximité ou dans la région des Grands Lacs par pipeline et par rail a également pris de l’expansion. Quels sont les risques environnementaux liés au transport du pétrole brut pour les lacs et que savons-nous des conséquences potentielles d’un déversement dans des écosystèmes d’eau douce comme celui des Grands Lacs?
Le Conseil consultatif scientifique des Grands Lacs de la Commission mixte internationale s’est efforcé de déterminer les conséquences observées et potentielles des déversements de pétrole brut sur la qualité de l’eau et la santé de l’écosystème des Grands Lacs, ainsi que les zones particulièrement vulnérables aux déversements de pétrole et les mesures qui pourraient être prises en cas de déversement. D’autres rapports ont permis d’analyser le risque de déversements de pétrole dans la région, comme dans le cas de la canalisation no 5 du pipeline dans les détroits de Mackinac (travaux du Michigan Pipeline Safety Advisory Board) et le Conseil s’est penché sur cette question dans son rapport.
Le Comité de la priorité scientifique du Conseil a inclus dans son rapport sur les risques écologiques potentiels du transport de pétrole brut dans le bassin des Grands Lacs des conclusions et des recommandations selon lesquelles d’autres recherches doivent être effectuées et les besoins doivent être surveillés.
Les pipelines sont le premier mode de transport en importance du pétrole brut à proximité ou dans le bassin des Grands Lacs; le transport ferroviaire est le second en importance. Le pétrole brut n’est pas transporté par bateau dans les lacs, bien que du transport par barge se fasse sur le fleuve Saint-Laurent en aval de Montréal. Les conséquences des déversements d’hydrocarbures dépendent de la densité et de la viscosité du pétrole, car ces deux caractéristiques changent son comportement après un rejet dans l’environnement. Par exemple, le pétrole se répandra-t-il, s’évaporera-t-il, se dispersera-t-il, se dissoudra-t-il ou se déposera-t-il dans les sédiments?
L’emplacement du déversement constitue un autre paramètre important pour ce qui est de la propagation du pétrole dans de plus grands lacs par les rivières adjacentes et sa propagation s’il est rejeté dans une zone où les courants complexes varient sur une courte période. De plus, les obstacles saisonniers, comme la glace d’hiver, peuvent rendre un déversement difficile à détecter et à nettoyer.
La plupart des données sur les conséquences écologiques des déversements de pétrole proviennent d’importants rejets dans les océans, comme le déversement de l’Exxon Valdez en Alaska en 1989 et l’accident à la plateforme de forage Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique en 2010. Le pétrole se comporte différemment en eau douce et peut avoir plus de conséquences, parce que le sel dans l’eau salée contribue à accélérer la dégradation des produits chimiques contenus dans le pétrole.
Les données sur les répercussions des déversements en eau douce proviennent de deux cas : la rupture d’un pipeline qui a déversé environ 24 000 barils de pétrole brut dans un affluent de la rivière Kalamazoo, dans le sud-ouest du Michigan, en juillet 2010, et un accident ferroviaire ayant causé un déversement en juillet 2013 à Lac-Mégantic, au Québec.
Compte tenu des données scientifiques disponibles, le Comité a constaté que tous les niveaux de la chaîne alimentaire aquatique seraient touchés, du plancton au poisson, en passant par les oiseaux piscivores et les mammifères. Les lacs constituent la plus importante source d’eau douce de surface pour près de 40 millions de personnes et d’eau potable pour bon nombre de résidents, ce qui accroît les répercussions en cas de déversements, en particulier dans les régions où la propagation est le principal résultat. Le risque qu’un déversement atteigne l’eau potable est important, particulièrement lorsque les courants transportent le pétrole brut à proximité des prises d’eau potable.
Selon l’emplacement de l’infrastructure actuelle de transport de pétrole brut à proximité ou dans les Grands Lacs et de l’information sur la biodiversité et les habitats à haute valeur écologique dans les lacs et les zones côtières, le Comité a établi 15 zones particulièrement vulnérables aux déversements de pétrole brut. Le degré de vulnérabilité dépend du nombre de points de contact avec du pétrole, de la sensibilité de la zone ou de l’habitat, de la résilience de la zone aux déversements et du type et de la quantité de pétrole déversé. La plupart de ces zones sont situées près des pipelines ou des corridors ferroviaires, et cinq sont près des raffineries.
Zone de vulnérabilité |
Source potentielle de pétrole brut |
Habitat ou espèce vulnérable |
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Raffinerie, intersection de pipelines |
Esturgeon, riz sauvage |
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Pipeline en zone côtière |
Riz sauvage, sauvagine, oiseaux aquatiques coloniaux, frayère du touladi |
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Chemin de fer en zone côtière |
Frayère de touladi, frayère d’esturgeon (rivières) |
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Pipeline en zone côtière et intersection de pipelines |
Frayère de touladi, terres humides côtières, alvars |
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Pipeline en zone côtière |
Doré jaune, terres humides côtières |
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Pipeline en zone côtière (petit) |
Ruisseau à truites, touladi, grand corégone, frayère de saumons |
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Raffinerie, chemin de fer, pipeline |
Terres humides côtières, dunes |
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Chemin de fer en zone côtière |
Terres humides côtières, frayère |
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Pipeline en zone côtière |
Doré jaune, perchaude, sauvagine |
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Raffineries, intersection de pipelines |
Esturgeon, terres humides, sauvagine |
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Raffineries, pipelines |
Terres humides côtières, doré jaune |
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Chemin de fer en zone côtière |
Frayère côtière, terres humides |
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Raffinerie |
Terres humides, sauvagine migratrice |
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Pipelines, chemin de fer en zone côtière |
Frayère d’esturgeon |
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Chemin de fer en zone côtière |
Terres humides en zone côtière, frayère |
Description des 15 zones de vulnérabilité écologique aux déversements de pétrole dans le bassin des Grands Lacs. Photo : Rapport du Comité de la priorité scientifique
Une intervention adéquate en cas de déversement de pétrole est essentielle pour réduire les dommages au minimum. Le rapport dresse la liste des principaux organismes gouvernementaux responsables des interventions en cas de déversement, ainsi que les types de mesures prises pour le confinement et l’élimination du pétrole déversé. Malgré les capacités d’intervention actuelles en cas de déversement, certains déversements posent encore problème, notamment ceux dans des eaux couvertes de glace, les bruts lourds qui coulent immédiatement après un déversement ou par suite de mauvaises conditions météorologiques, et les déversements dans des habitats fragiles où les mesures d’intervention pourraient avoir des répercussions négatives.
Le rapport relève également les lacunes sur le plan scientifique et recommande la poursuite des recherches sur les conséquences de divers types de pétrole brut transportés dans la région sur les écosystèmes d’eau douce et sur les mesures pour améliorer l’emplacement et la conception des futures infrastructures de transport du pétrole dans la région. Ces conclusions contribueront à améliorer les mesures d’intervention en cas de déversement dans l’ensemble de la région, ainsi qu’à faciliter les décisions sur l’emplacement de l’infrastructure de transport de pétrole, afin de protéger les sources d’eau potable et la santé de l’écosystème.

Sally Cole-Misch is the public affairs officer for the IJC’s Great Lakes Regional Office.