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Quels sont les effets des moules et du ruissellement d’éléments nutritifs sur le réseau trophique du lac Michigan?

kevin bunch
Kevin Bunch
photo of one quagga mussel

 

quagga mussels
Les moules quagga sont maintenant plus abondantes dans les Grands Lacs qu’une autre espèce envahissante bien connue, la moule zébrée, et elles peuvent survivre à de plus grandes profondeurs et dans une eau plus froide que leurs consœurs. Photo : Service géologique des États-Unis

Depuis la signature de l’Accord de 1972 relatif à la qualité de l’eau dans les Grands Lacs, les scientifiques savent que le ruissellement d’éléments nutritifs provenant des engrais et des eaux usées contribue à la prolifération d’algues. Ils savent également que les moules quagga modifient le déplacement des éléments nutritifs dans les lacs et dans leur réseau trophique. Or, on a maintenant, grâce à une étude de modélisation récente, une meilleure définition du rôle de cette espèce envahissante dans l’utilisation et le déplacement des éléments nutritifs dans le lac Michigan. Les résultats de cette étude pourraient servir à appuyer les efforts de réduction des proliférations d’algues dans les Grands Lacs.

Les moules quagga, une espèce de dreissenidés, sont originaires de la région pontocaspienne, en Europe de l’Est. Elles ont vraisemblablement été introduites dans les lacs par l’eau de ballast dans les années 1980. Ces organismes minuscules formés d’une coquille dure se fixent essentiellement sur toute surface dure avant d’extraire par filtration le plancton de la colonne d’eau. Les moules prolifèrent dans les régions riveraines, et les moules quagga ont gagné du terrain au détriment de leurs compatriotes envahissantes, les moules zébrées, dans de nombreux secteurs. Elles sont aussi capables de survivre en eaux plus profondes que les moules zébrées, envahissant ainsi des secteurs éloignés des rives.

Depuis environ les dix dernières années, la productivité primaire, qui est sensiblement la vitesse à laquelle les organismes à la base du réseau trophique transforment la lumière du soleil et les éléments nutritifs en bioénergie, connaît une baisse au large des rives du lac Michigan, selon Darren Pilcher, chercheur au Joint Institute for the Study of the Atmosphere and Ocean, du Pacific Marine Environmental Laboratory, de la National Oceanic and Atmospheric Administration des États‑Unis. Ce chercheur affirme qu’il est important de comprendre les facteurs en cause dans cette baisse de la productivité primaire, car une grande variété d’autres organismes, dont des invertébrés voire des poissons, se nourrissent de ces espèces de phytoplancton. Deux facteurs principaux ont été avancés : la diminution de la pollution par les éléments nutritifs entraînés par le ruissellement dans le lac depuis l’entrée en vigueur de l’Accord et la croissance de la population de moules quagga.

Selon Darren Pilcher, ces moules peuvent simplement se nourrir de phytoplancton au fil de leur croissance, et ce mécanisme pourrait expliquer en partie la baisse de productivité dans le lac.

Le modèle que Darren Pilcher et ses partenaires ont conçu représente la productivité du lac dans différentes conditions. Les chercheurs peuvent simuler l’état du lac en réduisant le nombre de moules, ou en diminuant la quantité d’éléments nutritifs entraînés dans le lac par le ruissellement (en se basant sur une baisse observée avant l’invasion du lac par les moules). Cette méthode leur permet de dégager l’effet de chaque processus. Le modèle tient compte du déplacement de l’eau dans le lac et de son écosystème, notamment le phytoplancton et le zooplancton – des organismes se nourrissant de phytoplancton.

Darren Pilcher et les chercheurs associés ont constaté que la croissance de la population de moules quagga ainsi que la baisse du ruissellement total d’éléments nutritifs ont eu des répercussions sur le lac, mais à différentes périodes et à différents emplacements. Il affirme que les moules quagga ont le plus d’impact au printemps et à la fin de l’automne en raison de la façon dont l’eau se déplace dans le lac. Les moules vivent sur le lit du lac, tandis que le phytoplancton a tendance à rester dans les couches supérieures baignées par la lumière du soleil. Au printemps et à la fin de l’automne, il se produit généralement un brassage de l’eau dans ces couches, qui entraîne le plancton vers les profondeurs où se trouvent les moules qui s’en nourrissent. Au cours de l’été, l’eau se stratifie et les couches se mélangent rarement, privant ainsi les moules quagga de cette source de nourriture à l’extérieur de la zone riveraine où les eaux sont très peu profondes. Posant ces conditions comme hypothèse, les chercheurs ont pu modéliser le régime saisonnier de dépendance de la moule quagga.

Selon Darren Pilcher, lorsque le phytoplancton reste dans la couche supérieure (de l’eau) où il ne sert d’aliment à aucune moule, il peut alors poursuivre sa croissance habituelle.

cladophora
Des algues de l’espèce Cladophora affleurent à la surface de zones riveraines où le phytoplancton étant absent ne peut utiliser le phosphore dans les eaux de ruissellement comme source d’éléments nutritifs dans les Grands Lacs. Photo : Wisconsin Sea Grant

Toutefois, dans les zones riveraines peu profondes, les moules peuvent continuer de se nourrir de phytoplancton, elles rendent ainsi l’eau plus claire et créent un espace où d’autres espèces d’algues et de bactéries prolifèrent en utilisant le phosphore disponible pour leur croissance. Ce processus a aussi pour effet de transformer et d’augmenter la biodisponibilité des éléments nutritifs et de les déplacer principalement vers la zone riveraine, c’est ce qu’on appelle la dérivation des éléments nutritifs vers les littoraux. Le ruissellement peut exacerber ce processus, et aura par conséquent des répercussions plus importantes en été, au moment de la croissance d’algues nuisibles, et des espèces benthiques comme Cladophora peuvent se propager et former de grands tapis d’algues.

Les espèces des zones d’eau profonde n’ont pas la même chance, car ces éléments nutritifs ne se rendent pas encore jusque dans les zones au large des rives. Darren Pilcher affirme qu’il se pourrait que des poissons des zones riveraines se nourrissent d’algues ou de moules, mais dans les zones du large, il est plus difficile pour les poissons de trouver des aliments à moins de vouloir et de pouvoir s’aventurer près des rives. On croit que cette situation contribue au déclin des populations de plusieurs espèces de poissons des Grands Lacs, comme le grand corégone, qui peinent à trouver de la nourriture dans leur secteur.

Darren Pilcher souhaite que les algues benthiques, comme Cladophora, soient éventuellement prises en compte dans les modèles pour mieux comprendre les effets des moules sur leur croissance. La consommation par les moules d’espèces de phytoplancton plus désirables dans les régions riveraines laisse une quantité de phosphore inutilisé par ces espèces et crée un vide que des espèces d’algues et de bactéries indésirables viendront combler. Cette information pourrait être utile aux initiatives de réduction des charges en phosphore dans les Grands Lacs, notamment le lac Érié, entreprises par les États des Grands Lacs et l’Ontario, en contribuant à affiner les cibles de réduction de la concentration de phosphore et à définir les attentes. Selon le chercheur, des modèles utilisant des paramètres similaires pourraient être conçus pour les quatre autres Grands Lacs, puisque des modèles existent déjà, dans une certaine mesure, pour le lac Érié.

Kevin Bunch est rédacteur spécialiste des communications au bureau de la Section américaine de la CMI à Washington, D.C.

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Kevin Bunch

Kevin Bunch is a writer-communications specialist at the IJC’s US Section office in Washington, D.C.

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