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Repenser notre stratégie de gestion des pêches du saumon quinnat

A Chinook Salmon. Credit: Joe Nohner
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Saumon quinnat. Source : Joe Nohner.

Dans un article récemment publié dans la revue Ecosystems, nous avons démontré que le bassin actuel de proies dans le lac Huron ne peut plus soutenir le même nombre de saumons quinnats que dans les années 1980. Par conséquent, nous avons conclu que le bon vieux temps des pêches du saumon quinnat était révolu et ne reviendra jamais.

Les résultats de notre étude laissent aussi sous-entendre que les pêches du saumon quinnat dans les lacs Michigan et Ontario connaîtront peut-être le même sort parce que plusieurs changements dans le réseau trophique associés à l’effondrement de la population de saumon quinnat dans le lac Huron se sont déjà produits dans ces deux lacs.

Le temps est peut-être venu de repenser si la gestion des pêches dans les Grands Lacs devrait être axée sur les espèces ensemencées que les pêcheurs sportifs recherchent, comme le saumon quinnat, ou sur les espèces indigènes, comme le touladi et le doré jaune, qui sont mieux adaptées aux changements écosystémiques.

Le saumon quinnat et d’autres espèces de la famille des saumons ont été introduits dans les Grands Lacs il y a 50 ans pour créer des pêches récréatives. L’intention était de transformer le gaspareau de poisson nuisible à source de nourriture pour le saumon. Le gaspareau a atteint un niveau d’abondance nuisible vers 1960, qui a attiré l’attention du public lorsque, après plusieurs mortalités massives, les plages ont été souillées par les poissons en décomposition.

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Gaspareaux capturés dans le cadre d’un relevé d’échantillonnage réalisé en 2004. Source : Tim O’Brien.

Les saumons introduits se sont vite adaptés à se nourrir de gaspareau. Ils ont ainsi créé des pêches d’une valeur de plusieurs milliards de dollars.

Parce que les populations de saumon sont maintenues artificiellement ou augmentées par ensemencement, la possibilité d’un déséquilibre entre prédateur et proie a été une préoccupation des chercheurs depuis le début des années 1980. Un tel déséquilibre s’est finalement produit en 2003, lorsque la population de gaspareau du lac Huron s’est effondrée.

La cause de cet effondrement est toutefois compliquée. Depuis la fin des années 1980, une plus forte pression de prédation est exercée sur les poissons proies, comme le gaspareau et l’éperlan arc-en-ciel, qui souffrent aussi d’un manque de nourriture. Les besoins en nourriture des salmonidés ont commencé à augmenter lorsque les niveaux d’ensemencement ont augmenté dans les années 1980, puis ils ont bondi suite à la reproduction naturelle du saumon quinnat dans les années 1990. Par contre, la production d’algues à la base des réseaux trophiques lacustres a diminué en raison de leur consommation par la moule quagga envahissante et de la diminution des apports d’éléments nutritifs résultant des programmes de réduction les visant, lancés dans les années 1970.

L’année 2003 est unique dans l’histoire écologique du lac Huron. C’est à ce moment que la moule quagga a été découverte en grandes quantités dans les profondeurs du lac. C’est aussi à ce moment qu’il s’est produit un creux historique des apports d’éléments nutritifs dans le lac provenant de sources agricoles et municipales. Depuis, l’abondance de la moule quagga augmente alors que les apports d’éléments nutritifs sont demeurés à de faibles niveaux.

Alors que les pêches du saumon quinnat dans le lac Huron se sont effondrées à la suite de l’effondrement de la population de gaspareau, les estimations des prises récréatives de saumon quinnat dans les lacs Michigan et Ontario de 2005 à 2008 s’approchaient d’un pic historique malgré ses plus grands besoins en nourriture, la plus grande abondance de la moule quagga et la réduction des apports d’éléments nutritifs.

Néanmoins, selon notre étude, un signal d’alarme clair sonne pour les pêches du saumon quinnat dans les lacs Michigan et Ontario car, dans les dernières années, le saumon quinnat s’est nourri presque exclusivement de gaspareau.

Avant le 21e siècle, le saumon quinnat se nourrissait d’éperlans arc-en-ciel et de gaspareaux. Mais l’abondance de l’éperlan arc-en-ciel diminue sans cesse depuis les années 1990 parce que l’espèce est plus vulnérable que le gaspareau au manque de nourriture résultant de la réduction des apports d’éléments nutritifs et de l’accroissement de l’abondance de la moule quagga. Si la condition du lac Huron après 2003 se produit dans les lacs Michigan et Ontario, il est probable que les populations de gaspareau dans ces deux lacs vont s’effondrer, tout comme les pêches du saumon quinnat.

Avec les changements en cours dans les Grands Lacs, il deviendra de plus en plus coûteux de maintenir les pêches du saumon quinnat. Nous avons observé des déclins de la population de gaspareau et des prises de saumon quinnat dans le lac Michigan depuis 2010 malgré un niveau de gestion identique, voire supérieur. Par contre, dans les dernières années, les prises d’espèces indigènes, comme le touladi et le doré jaune, qui sont mieux adaptées à un réseau trophique exempt de gaspareau, ont augmenté considérablement dans le lac Huron.

À mon avis, le moment est venu de repenser nos stratégies de gestion des pêches dans les Grands Lacs.

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Relevé d’échantillonnage annuel du gaspareau au chalut de fond. Source : Tim O’Brien.

 

 

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