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Se préparer au pire : Systèmes d’alerte précoce des Grands Lacs, depuis les toxines jusqu’aux espèces envahissantes

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Kevin Bunch
nest of herring gull eggs

 

herring gull eggs great lakes
Les goélands argentés et leurs œufs jouent le rôle d’« organismes sentinelles » pouvant être utilisés pour alerter les chercheurs à l’apparition de contaminants toxiques nouveaux dans le bassin des Grands Lacs. Source : Fish and Wildlife Service, États-Unis.

Les Grands Lacs peuvent subir des changements rapides, comme dans le cas du déversement accidentel d’un polluant dans une rivière, ou lents, comme la transformation provoquée par deux espèces envahissantes, la moule zébrée et la moule quagga, qui dure depuis des décennies. Les gestionnaires des eaux et autres intervenants comprennent l’importance, plutôt que de se contenter de réagir à ces facteurs de stress, d’élaborer de systèmes d’alerte précoce ciblant les dangers à court et à long terme, tels que les polluants, les espèces envahissantes et les changements climatiques. Ces systèmes pourraient leur permettre de prévenir le pire des changements et des répercussions.

« La conception et la mise en œuvre d’un système d’alerte précoce constituent une mesure proactive qui donne plus de temps pour réagir à un problème, » souligne Tad Slawecki, ingénieur chez Limnotech, entreprise spécialisée en sciences et en génie de l’environnement à Ann Arbor, au Michigan. Par exemple, explique M. Slawecki, un ancien système national de défense appelé « Réseau d’alerte avancé » (ou Réseau DEW), situé dans les latitudes supérieures du Canada et des États-Unis, a été conçu afin de détecter un missile ou une attaque de bombardiers assez rapidement pour que le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) puisse évaluer ses options et prendre les mesures qui s’imposaient pour protéger ces pays.

L’idée d’un système d’alerte dans les Grands Lacs n’est pas si terrible. Il en existe déjà un élément dans le corridor Huron-Érié, qui consiste en un système de protection des sources d’eau. Des dispositifs de surveillance de l’eau sont en place à différentes prises d’eau le long de la rivière Sainte-Claire, du lac Sainte-Claire et de la rivière Détroit, par laquelle le lac Huron se déverse dans le lac Érié. Certains vérifient le pH et les niveaux d’oxygène dissous, tandis que d’autres contrôlent l’apparition de composés organiques inhabituels ou imprévus, indique M. Slawecki. Ils ont été mis en place, parce que Sarnia, en Ontario, est un centre majeur de production chimique et que les populations en aval puisent l’eau dans les rivières Sainte-Claire et Détroit. Si un déversement est décelé et qu’il engendre des problèmes auxquels les services d’eau ne sont pas en mesure de faire face, par exemple, alors ces derniers auront amplement le temps de réagir.

Ce système d’alerte du corridor Huron-Érié est un système d’intervention « à court délai d’action » visant les accidents à progression rapide. Toutefois, le réseau des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent présente de nombreux facteurs de stress agissant sur de longues périodes. L’effet cumulatif de décennies et de siècles de déforestation, de surpêche, de changements climatiques, d’expansion urbaine, d’apparition d’espèces non indigènes et envahissantes, de régularisation des niveaux d’eau, d’enrichissement en matières nutritives et de rejets de déchets toxiques a changé et change encore les lacs, et les rivières qui les relient. En analysant la cause des changements, les gestionnaires peuvent communiquer les risques qui s’y rattachent au public, atténuer les répercussions les plus importantes, tenter d’adapter les infrastructures pour composer et éventuellement, renverser la situation.

Pour satisfaire au besoin d’un système d’alerte précoce dans les Grands Lacs et le fleuve Saint-Laurent, le Bureau régional des Grands Lacs de la Commission mixte internationale réalise un projet appuyé par des membres du Conseil consultatif scientifique des Grands Lacs de la CMI et des spécialistes qui ont formé un groupe de travail.

« Le groupe de travail passera en revue et consolidera les connaissances actuelles et les approches des systèmes d’alerte écologique précoce, et évaluera s’ils sont applicables aux Grands Lacs. Il élaborera le cadre conceptuel d’un système d’alerte précoce destiné aux Grands Lacs, organisera un atelier réunissant des spécialistes afin de dresser la liste des menaces et des facteurs de stress actuels et éventuels pour les Grands Lacs, en définissant notamment leur ampleur, leur probabilité et leur gravité, et déterminera un processus de gestion pour y remédier », confie Michael Twiss, professeur à la Clarkson Université et coprésident du groupe de travail.

Selon M. Twiss, ce projet permettra en partie à la CMI de s’acquitter de son mandat de détermination proactive des nouveaux problèmes de qualité de l’eau dans les Grands Lacs et leurs voies interlacustres. Les résultats du projet serviront à formuler des conseils et des recommandations à l’intention des gouvernements du Canada et des États-Unis concernant les nouveaux facteurs de stress et les menaces qui méritent plus d’attention, ainsi que ceux qui, pris individuellement ou dans leur ensemble, sont connus, mais demandent davantage de recherche et de gestion. À l’avenir, le processus appliqué pour définir les facteurs de stress pourrait être utilisé et amélioré régulièrement pour répondre aux besoins actuels et prévus en matière d’alerte précoce, dit-il.

Organismes sentinelles

Il est plus difficile d’élaborer un système d’alerte précoce qui soit en mesure de reconnaître ou de prendre les changements en compte. Comme le souligne M. Slawecki, l’observation des « organismes sentinelles » et de la structure écologique des communautés serait un moyen d’y parvenir. Par exemple, si les types de plancton situés le long d’un rivage changent, le changement peut se répercuter le long de la chaîne alimentaire et sur les poissons qui s’en nourrissent. Des eaux plus chaudes ou des milieux où les algues prolifèrent ne conviennent pas à certains poissons. Les grands prédateurs, tels que les aigles, les goélands, les hérons et les tortues jouent le rôle d’organismes sentinelles permettant de bien déterminer les changements qui s’opèrent dans l’environnement aquatique, en particulier la variation de concentrations de toxines bioaccumulatives. Les consommateurs de poissons et d’autres aliments issus des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent peuvent présenter des problèmes de santé liés à ces toxines, incitant les autorités étatiques et provinciales à établir des avis sur la consommation. Par conséquent, les organismes sentinelles donnent un signal d’alarme précoce essentiel pour déceler les toxines susceptibles d’être nocives pour la population.

Néanmoins, les principaux obstacles à surmonter sont les problèmes que nous ne connaissons pas. On peut surveiller la répartition et les quantités de produits chimiques tels que les biphényles polychlorés (BPC), mais M. Slawecki précise qu’il existe d’autres substances aux répercussions inconnues. Celles que nous connaissons nous fournissent toutefois certaines indications. Par exemple, nous pouvons observer d’autres substances toxiques qui s’accumulent, en établissant des procédures destinées à cerner les nouvelles menaces d’après l’expérience acquise par l’observation de contaminants connus, comme les BPC ou le mercure. Ainsi, avec l’aide des fonds de la Great Lakes Restoration, le Fish and Wildlife Service des États-Unis procède à des évaluations sanitaires de poissons et de moules indigènes exposés à des produits chimiques, notamment dans les élevages d’esturgeons jaunes.

Selon l’Accord relatif à la qualité de l’eau dans les Grands Lacs, les gouvernements du Canada et des États-Unis sont chargés de définir les produits chimiques qui sont source de préoccupations mutuelles et qui présentent les plus grandes répercussions sur la santé humaine et sur l’environnement, souligne Conrad de Barros, gestionnaire intérimaire au Bureau des polluants nocifs des Grands Lacs d’Environnement et Changement climatique Canada. Cet effort s’est traduit par la surveillance de concentrations dans les poissons, les sédiments et les œufs de goélands, lesquels servent d’indicateurs sur les effets chimiques.

Les deux gouvernements fédéraux et la province de l’Ontario ont des chercheurs scientifiques qui tiennent à jour les connaissances sur les nouveaux produits chimiques et appliquent ces renseignements aux Grands Lacs, confie M. De Barros. Par leurs recherches, les scientifiques jouent un rôle inestimable pour déterminer les nouveaux produits chimiques problématiques –créant ainsi un système d’alerte précoce informel, mais limité. Les produits chimiques relevés de cette manière ou au moyen d’un processus officiel de proposition peuvent être désignés comme des « produits chimiques sources de préoccupations mutuelles », dans des plans de surveillance et de contrôle correspondants que les gouvernements sont tenus d’élaborer. Pour les produits chimiques tels que l’hexabromocyclododécane (HBCD) et les BPC, les projets de plan sont déjà disponibles en ligne.

Mais qu’en est-il des répercussions des espèces non indigènes introduites? Des essais consistant à introduire le bar dans un lac expérimental du Wisconsin ont révélé l’apparition de répercussions sur les populations de poissons planctophages, ou planctonivores, au cours des deux années suivantes. Des effets en cascade sur le lac ont été observés, accompagnés d’une hausse de la quantité de phytoplancton décelée par des bouées placées dans l’eau. Selon M. Slawecki, le bar s’est nourri des poissons planctophages, ce qui a réduit le broutage du zooplancton, zooplancton qui consomme du phytoplancton. L’introduction du poisson a donc fait augmenter la quantité de phytoplancton. Les répercussions du bar ont donc modifié fondamentalement l’état du lac. Cependant, il est plus difficile de prévoir les répercussions à long terme des espèces envahissantes ou des changements subis par les rivages dans un réseau tel que celui des Grands Lacs. De fait, l’élaboration d’un système d’alerte précoce à long terme peut s’avérer compliquée.

« La question à se poser et pour laquelle nous n’avons pas de réponse est la suivante : que faut-il observer et qu’est-ce que cela signifie? », confie M. Slawecki. « Il est très difficile pour nous de sortir des sentiers battus. »

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Une conduite d’évacuation se décharge dans l’eau. Source : USDA.

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Kevin Bunch

Kevin Bunch is a writer-communications specialist at the IJC’s US Section office in Washington, D.C.

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