Les 9 et 10 avril derniers, la CMI a organisé un rassemblement virtuel privé de deux jours qui a permis de réunir des détenteurs de savoir autochtone, des universitaires, des scientifiques, des praticiens des ressources hydriques, des étudiants, des membres du personnel de la CMI et d’autres experts passionnés par la protection des eaux partagées. Ce rassemblement a été l’aboutissement de mois de planification et de conseils par un groupe de conseillers autochtones et non autochtones externes qui ont généreusement contribué à en façonner le contenu et le déroulement.
Au cours de ces deux journées, les présentateurs et les participants ont échangés points de vue et avis sur la façon dont la CMI et les peuples autochtones pourraient collaborer plus efficacement à la protection des eaux transfrontalières, et sur la façon dont la CMI pourrait respectueusement intégrer le savoir autochtone dans ses travaux.
Comme le commissaire de la CMI, Rob Sisson, l’a souligné dans son mot de bienvenue : « Ce rassemblement est un peu comme le débit d’une rivière […], il s’inscrit dans un processus de sensibilisation et de collaboration accrues entre la Commission et les peuples autochtones de toute la région où s’étendent des eaux limitrophes ».
Grâce à des études de cas, à des récits et à leur réflexion sur la question, les participants ont appris les avantages et les défis de la collaboration, l’importance fondamentale des partenariats respectueux et les façons de partager le savoir et de l’appliquer à la protection de ce qui est en fait « une [seule] source d’eau ».
Le rassemblement, dont le centre cérémoniel se trouvait sur le territoire traditionnel des nations Anishinaabe de la Confederacy of the Three Fires, a été ouvert chaque matin par Russell Nahdee de Bkejwanong, qui est aussi le coordonnateur du Centre d’éducation autochtone de l’Université de Windsor. Invoquant les enseignements et les récits des Anishinaabe, Russell a parlé de l’importance de la communauté, du respect, de l’instauration de relations et de la valeur de la collaboration et du fait d’apprendre les uns des autres.
Waasekom Niin, de la bande de la nation des Ojibways Saugeen, a lancé l’événement en racontant ses nombreux voyages en canot et ses promenades sur les berges des Grands Lacs. M. Niin a fait part de ses réflexions sur la nécessité de traduire les consciences individuelles en actions collectives :
« Nous sommes tous unis par l’eau […] Nous avons tous un lien personnel avec elle. Et je pense que maintenant plus que jamais nous devons vraiment cultiver cette connexion en nous-mêmes. Parce que c’est grâce au soutien que nous lui apporterons et à l’établissement de liens avec elle que nous pourrons trouver les réponses dont nous avons besoin […] Nous pouvons éliminer certains des obstacles sociétaux auxquels nous nous heurtons et pouvons en arriver à comprendre que nous avons tous une responsabilité : les Grands Lacs sont un commun sacré, et nous nous devons de travailler ensemble. »
Frank Ettawageshik, des Tribus Unies du Michigan, et Jacqueline Hand, professeure à la Faculté de droit de l’Université de Detroit Mercy, ont donné un exemple de la façon autochtone de défendre des eaux communes et du pouvoir de l’action collective. Ils ont relaté l’histoire de l’élaboration du Pacte sur l’eau dans les Grands Lacs et de l’Accord sur l’eau de 2004, grâce auquel les nations autochtones ont été invitées à la table de négociation pour promouvoir un avenir sain pour les Grands Lacs.
Malgré les meilleures intentions du monde, si l’on ne s’y prend pas de la bonne façon, il peut être difficile d’intégrer le savoir et les manières de travailler autochtones dans des domaines traditionnellement dominés par la science occidentale. La Great Lakes Indian Fish and Wildlife Commission (GLIFWC), établie au Michigan, a créé des outils qui intègrent les savoirs, la culture, la science et les perspectives autochtones à la science et aux approches occidentales, jetant ainsi une passerelle les tribus et les non-Autochtones en matière d’évaluation et d’adaptation aux changements climatiques. Invoquant les besoins à la base de ces outils, Ziigwanikwe Katy Bresette a fait observer que le point de vue des Anishinaabek, les façons de voir des Ojibwés étaient, à l’évidence, négligés, ignorés […] exclus du récit officiel. » Mme Bresette a souligné l’importance de la mobilisation et de l’intégration des Autochtones comme fondement à toute action, les peuples autochtones devant participer dès le début.
La langue est également importante pour assurer l’efficacité de la collaboration, comme l’a fait remarquer Gidigaa bizhiw (Jerry Jondreau) de GLIFWC : « Quand nous communiquons seulement en anglais, un système hiérarchique inhérent s’installe […] Les mots comptent, et les langues comptent; et la façon dont on parle des choses importe […] Nous voulions vraiment essayer de créer un semblant de parité et d’équité entre les êtres humains et les autres êtres qui partagent un même espace en tant que parents et non comme ressources. »
Ogamauh annag Qwe (Sue Chiblow) de la Première Nation de Garden River, membre du Sous-comité sur le savoir traditionnel autochtone chargé de la situation des espèces en péril au Canada, a expliqué le rôle essentiel que joue le savoir autochtone dans la compréhension, la surveillance et la protection des espèces menacées de disparition dans nos écosystèmes communs. Elle a également souligné la nécessité absolue de changer de discours et de reconnaître l’interdépendance de tous les êtres, en notant le rôle que jouent des espèces déterminantes comme les oiseaux aquatiques pour nous alerter des changements environnementaux.
Ogamauh annag Qwe a fait observer que nous avons besoin de transformer les choses pour le long terme. « Les choses ne se jouent pas seulement dans le court terme et nous ne devons veiller à toujours penser à long terme. Beaucoup d’aînés évoque cette forme de pensée à long terme, le fait que nous ne faisons qu’emprunter à nos enfants. » Elle a souligné que les savoirs écologiques traditionnels sont empreints de ces principes importants dans les processus de collaboration et de coopération plus vastes qui sont nécessaires « pour protéger le peu qu’il nous reste ».
La transformation des approches conventionnelles de la science et des structures institutionnelles pour mieux intégrer le savoir et les méthodes de travail autochtones est au cœur du travail du Healthy Headwaters Lab de l’Université de Windsor.
La création d’une communauté réunissant l’université et les nations autochtones locales est la marque distinctive des efforts déployés par le Healthy Headwaters Lab. Cette démarche a consisté à créer des postes de professeurs auxiliaires pour des chercheurs autochtones, à financer la recherche de nature collaborative sous l’égide de la communauté, et à créer des possibilités d’apprentissage mutuel reposant sur le partenariat avec les communautés autochtones. Il est essentiel de diriger sur la base de valeurs et d’investir dans des relations fondées sur la confiance.
« Il est vraiment question de s’approprier les structures institutionnelles, de les remettre en question et de les transformer si nous le pouvons », a expliqué la Mme Catherine Febria, ajoutant : « Investissez d’abord dans l’instauration de relations, puis songez aux subventions. »
Combler l’écart entre les sciences et les méthodes de travail autochtones et occidentales a été le thème d’une discussion entre David Arquette (du Haudenosaunee Environmental Task Force) et Abraham Francis (du Programme sur l’environnement du Conseil des Mohawks d’Akwesasne) animée par le commissaire de la CMI, Henry Lickers.
Située sur le fleuve Saint-Laurent, dans une région complexe sur le plan des compétences territoriales, M. Arquette a relaté l’élaboration du modèle de recherche d’Akwesasne destiné à guider l’examen des nombreuses propositions de recherche environnementale et scientifique qui étaient soumises à la communauté. Inspiré de la Grande Loi de la paix, le protocole veille à ce que toute recherche proposée pour Akwesasne profite à la communauté, à la population et à l’environnement.
« Nous ne voulons pas refaire comme par le passé, quand les chercheurs avaient l’habitude de venir chez nous pour puiser dans notre savoir, pour extraire des données de la communauté, puis de partir pour ne plus jamais revenir. »
Parlant de réciprocité et de partenariats, M. Francis a souligné l’importance de ne pas s’attendre à une « main-d’œuvre gratuite » ou d’aborder les partenaires autochtones en tant que sujets de recherche sans songer à l’équité. « Je ne m’intéresse pas aux engagements transactionnels; je m’intéresse à l’engagement participatif. Je veux que les gens se soucient de moi; je veux qu’ils se soucient d’Akwesasne à long terme. »
Et puis, la préparation est essentielle, devait ajouter M. Francis. Faire des recherches préalables sur l’histoire d’une nation, ainsi que sur les initiatives et les recherches qu’elle a déjà menées, est à la fois un signe de respect et un élément fondamental pour bâtir une relation fructueuse.
L’importance de partenariats éclairés et respectueux dans la protection et la conservation de l’eau prise en tant que source unique a également été soulignée dans des présentations sur le bassin du fleuve Columbia.
Say’ ay’ (John Sirois) des tribus unies du basin supérieur du Colombia et Swa?qn (Darnell Sam) ont parlé de la riche histoire de la conservation des terres et de l’eau pratiquée par les peuples autochtones dans le bassin, et de leur travail collectif pour réparer les impacts environnementaux et culturels profonds des grands projets d’infrastructures et des barrages construits le long de la rivière au cours du XXe siècle. Malgré la difficulté à obtenir un siège à la table de négociation du Traité du fleuve Columbia, les nations autochtones ont continué de changer les idées et les attitudes dans la région, notamment par le biais d’ateliers sur le thème « une source d’eau, une question d’éthique » qui ont permis de réunir divers intérêts.
Comme Say’ ay l’a expliqué : « Nous nous sommes appuyés sur notre savoir traditionnel pour trouver l’inspiration et pour revenir à l’eau. » La mission ne consiste pas seulement à intégrer le savoir traditionnel, mais à changer la façon dont les gens perçoivent le réseau du fleuve Columbia en termes de capital naturel. Se concentrer sur sa fonction écosystémique « donnerait aux décideurs les outils leur permettant de prendre des décisions plus judicieuses ». Il a souligné la grande importance de continuer non seulement à comprendre le savoir, mais aussi à agir en fonction de ce savoir et à avoir la profonde envie d’agir ».
Swa? qn (Darnell Sam) a axé son mot de la fin sur le thème de l’équilibre.
« Il nous faut viser l’équilibre à l’échelle du système. Pour toutes les facettes du gouvernement, pour toutes les facettes humaines, pour toutes les facettes spirituelles qui dépendent de ce fleuve. Que fait-il? Il donne la vie. L’expression « l’eau, c’est la vie » n’est pas un simple cliché, elle a une signification énorme qui va au-delà de chaque être et de ce qu’il représente. »
Jeannette Armstrong et le biologiste spécialiste des pêches, Ryan Benson de l’Okanagan Nation Alliance, ont raconté comment le travail du peuple Syilx Okanagan avait guidé le rétablissement du saumon quinnat dans la rivière. Les cérémonies, les récits et les savoirs traditionnels, ainsi que les observations continues du peuple, jouent un rôle essentiel dans l’orientation des décisions et des méthodes scientifiques occidentales appliquées dans cet effort.
Comme M. Benson l’a fait remarquer : « L’une de mes passions est de combiner la science occidentale et le savoir traditionnel. Ils arrivent souvent aux mêmes conclusions, et quand vous tombez sur deux conclusions de sources différentes qui se recoupent, j’en déduis que je tiens le bon bout. »
Mme Armstrong a conclu en insistant sur la raison unificatrice de ces efforts : « Ce qui est à mes yeux important en matière de savoir écologique traditionnel, c’est la place de la collaboration, le travail en commun. Nous pouvons toujours penser au passé autant que nous le voulons, mais avant tout, nous devons nous montrer loyaux envers l’avenir. »
Dans l’ensemble, la réunion a laissé une bonne impression sur les participants, les présentateurs et la famille de la CMI. Les commissaires, le personnel et les membres du conseil de la CMI ont été particulièrement reconnaissants du temps investi par chacun et des bienfaits de tout savoir partagé. Mais il faut reconnaître que cet événement n’est qu’une partie d’un cheminement continu.
Comme le commissaire de la CMI, Lance Yohe, l’a fait remarquer dans sa conclusion : « Cette réunion n’est qu’une étape de ce processus et nous espérons qu’il y en aura d’autres, qu’il y aura plus de travail de fait et plus de réunions à venir. Nous aimerions que cela se poursuive en tant que démarche d’équipe avec la création de relations en cours de route. »