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Une organisation autochtone aide à se préparer aux changements climatiques sur les terres publiques

kevin bunch
Kevin Bunch
tribal wild rice

Longtemps considéré comme le plus froid et le plus propre des Grands Lacs, le lac Supérieur est tout de même en train de subir les effets des changements climatiques. Les températures de l’air plus chaudes ont entraîné des orages plus fréquents et plus violents dans la région, et le lac Supérieur se réchauffe plus rapidement que les autres Grands Lacs.

Les riverains de ce lac font face à ces changements en renforçant les berges et en protégeant les plantes et les animaux les plus importants pour l’écosystème. Pour les Autochtones, ce genre de préparation ne se limite pas aux réserves et s’étend aux terres cédées, surtout à celles qui sont situées sur des terres publiques. 

Les communautés autochtones font face à des défis uniques en raison des changements climatiques, les Premières Nations, la Nation métisse et les tribus s’associant à d’autres organismes et organisations pour les aider à s’adapter aux conditions futures.

Dans les années 1800, un certain nombre de nations tribales ojibwés du Wisconsin moderne, du Michigan et du Minnesota ont signé des traités avec le gouvernement fédéral portant sur la cession de territoires et étant assortis de droits de pêche, de chasse et de cueillette.

Les tribunaux fédéraux et étatiques du pays ont confirmé ces droits issus de traités et déterminé que les tribus ont le pouvoir de réglementer leurs membres et de gérer les habitats et les écosystèmes du territoire cédé en mode collectif.

Depuis plus de 35 ans, la Great Lakes Indian Fish & Wildlife Commission (GLIFWC) exerce des pouvoirs délégués par 11 tribus ojibwes membres pour assurer la conservation et la protection des ressources naturelles, ainsi que les programmes d’application de la loi en matière de conservation et d’information publique destinés à mettre en œuvre les droits des tribus issus de traités. De plus, l’organisation œuvre à la gestion coopérative des ressources naturelles et des écosystèmes dans les territoires cédés afin d’appuyer les droits acquis et de promouvoir la santé et la sécurité des communautés tribales.

« En raison des frontières politiques modernes, les communautés autochtones d’aujourd’hui ne peuvent plus se déplacer comme avant pour suivre l’évolution des aires de répartition des végétaux et des animaux (représentant une importance culturelle et communautaire pour elles) que les changements climatiques occasionneront dans les années à venir », estime Robert Croll, coordonnateur du programme sur les changements climatiques à la GLIFWC. Son organisation s’est fixée comme priorité de recenser le « vivant vulnérable », comme les poissons et les végétaux, afin de prendre des mesures d’adaptation.

Selon M. Croll, la GLIFWC étudie les poissons dans le lac Supérieur et les lacs intérieurs avoisinants. Dans le premier cas, les chercheurs examinent les effets du climat sur le corégone et le touladi, notamment pour ce qui est de leur alimentation, des profondeurs et températures qu’ils affectionnent et des variations constatées dans le temps, à mesure que le lac se réchauffe. Dans les lacs intérieurs, l’organisation suit le doré jaune et d’autres poissons qu’elle équipe d’émetteurs radio pour voir où ils se déplacent tout au long de l’année.

Les travaux de la GLIFWC sur les changements climatiques comprennent également une évaluation de la vulnérabilité concernant une longue liste d’espèces importantes sur le plan culturel, ainsi qu’un projet de phénologie végétale destiné à voir en quoi les changements climatiques peuvent influer sur le cycle de vie de 10 végétaux culturellement importants.

Hannah Panci, scientifique spécialisée en changements climatiques à la GLIFWC, précise qu’en matière d’évaluation de la vulnérabilité, l’organisation reprend les classements biologiques qui sont couramment utilisés par les Ojibwés, soit : les animaux qui rampent, qui volent, qui vont dans l’eau et ceux qui sont à quatre pattes, de même que les végétaux. La GLIFWC a constaté que les animaux aquatiques et les végétaux sont les deux groupes biologiques les plus vulnérables.

Toujours selon M. Panci, les animaux qui vont dans l’eau, dont les poissons, sont limités à des habitats restreints où il leur est possible de survivre, de se nourrir et de se reproduire en fonction de la température et de niveaux d’oxygène caractérisques de profondeurs bien délimitées. Il s’ensuit que les poissons qui se situent en haut de la chaîne alimentaire et les créatures dont ils se nourrissent subissent une pression. Ces poissons font également face à la concurrence d’espèces envahissantes qui, dans certains cas, peuvent mieux gérer les conditions changeantes que des poissons indigènes. La scientifique en est venue à la conclusion qu’à cause de tous ces facteurs, les lacs ne sont pas nécessairement un endroit aussi accueillant qu’avant.

Les végétaux ne sont pas particulièrement mobiles et ne peuvent généralement pas disperser leurs semences très loin, de sorte que les changements localisés de tout habitat ainsi que des conditions météorologiques peuvent faire problème. Selon M. Panci, l’évaluation de la vulnérabilité a, jusqu’à présent, permis de déterminer que le Manoomin, ou riz sauvage, est l’espèce espèce indigène des terres humides qui est la plus vulnérable aux changements climatiques. Celle-ci a besoin de certaines conditions météorologiques et hydriques à différents stades de son cycle de vie pour se développer, et comme elle est un élément culturel et culinaire incroyablement précieux du mode de vie traditionnel des Ojibwés, M. Panci ajoute que presque tous les membres de la tribu consultés pour cette étude ont parlé du caractère préoccupant de ce végétal.

Selon M. Croll, l’étude sur le Manoomin — qui combine science occidentale et connaissances écologiques traditionnelles — permet aux chercheurs de valider leurs données scientifiques recueillies d’après les connaissances des aînés et d’autres membres de la communauté qui fréquentent régulièrement les terres publiques pour exercer leurs droits issus de traités. Partant du principe que les Ojibwés transmettent des savoirs écologiques depuis des générations, M. Croll déduit que cela a permis aux chercheurs d’obtenir des renseignements extrêmement approfondis.

Dans une grande partie du travail que nous faisons sur les changements climatiques, nous essayons de nous appuyer sur le savoir traditionnel pour guider nos conclusions dans la mesure du possible et nous faisons en sorte que la science (occidentale) soit davantage un acteur de soutien », a dit M. Croll.

Les chercheurs de la GLIFWC ne sont pas les seuls à avoir fait la synthèse de la science occidentale et du savoir traditionnel en matière d’écologie. La nation Saugeen Ojibway a suivi les changements de la pêche au corégone dans le lac Huron et la baie Georgienne, en utilisant les renseignements fournis de longue date par les aînés et les pêcheurs afin d’établir une base de comparaison temporelles des habitudes migratoires et de déplacement du corégone et de tirer des conclusions sur la façon dont les choses ont changé.

Le programme de surveillance a déjà permis de constater qu’en eau froide, le corégone fréquente des eaux plus profondes et plus froides que par le passé. Cela peut poser un problème, car l’espèce détermine sa saison de fraie automnale en fonction de la température. Le réchauffement du temps et de l’eau signifie également que la glace fond plus tôt, alors que le corégone dépend du couvert de glace pour protéger ses œufs du vent.

La GLIFWC a publié un rapport de ses premières conclusions en 2018, et M. Croll s’attend à ce que l’organisation publie un rapport complet d’évaluation de la vulnérabilité en 2021.

La prochaine étape consistera à réunir les organismes fédéraux, étatiques et tribaux collaborant avec la GLIFWC afin de formuler un ensemble de mesures à prendre pour protéger les espèces vulnérables et améliorer leurs chances de survie. En 2013, la GLIFWC a collaboré avec des organismes fédéraux américains et d’autres partenaires à la formulation d’une stratégie nationale d’adaptation aux changements climatiques pour les espèces de poissons et de végétaux dans le but de synchroniser les plans aux niveaux fédéral, étatique et tribal, ainsi qu’à la préparation d’un nouveau livre blanc mettant à jour cette stratégie, livre blanc qui doit être présenté à la Maison-Blanche en 2021.

Selon M. Croll, la GLIFWC travaille également avec d’autres organisations de traités, comme la Treaty Authority 1854 aux États-Unis et le Grand Council Treaty 3 au Canada.

« Je pense qu’il est important de comprendre que, même si les humains sont forcés de reconnaître cette ligne sur une carte, les autres membres de notre parenté non humaine ne le sont pas », devait conclure M. Croll.  

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Kevin Bunch

Kevin Bunch is a writer-communications specialist at the IJC’s US Section office in Washington, D.C.

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