Les origines du Traité relatif aux eaux limitrophes

La gestion des eaux limitrophes et des droits qui s’y rattachent a été un enjeu important entre le Canada et les États-Unis depuis la guerre de l’Indépendance américaine. Le traité de paix définitif de 1783 entre la Grande Bretagne et les États-Unis stipule que les deux pays ont juridiction sur leurs eaux de part et d’autre de la frontière. Au cours du siècle suivant, la Grande Bretagne et les États-Unis concluront plusieurs autres traités dont certaines dispositions porteront sur la gestion des eaux limitrophes, particulièrement au sujet de la navigation. Le Traité de Jay (1794), l’Accord Rush-Bagot (1817) le Traité de Webster-Ashburton (1842), le Traité relatif à la frontière du Nord-Ouest (1846), l’Accord de réciprocité (1854) et le Traité de Washington (1871) en sont des exemples.

Au cours du XIXe siècle, d’autres accords portant sur l’utilisation et le partage des eaux ont été conclut en Europe et ailleurs en Amérique du Nord. Les commissions multipartites du Rhin et du Danube ont été créées en 1815 et 1856 et servent de cadre administratif pour la gestion de la navigation sur ces deux fleuves. Suite à la conclusion de deux traités en 1889 et 1895 entre les États-Unis et le Mexique, une commission internationale a été créée en vue d’étudier les questions relatives à l’irrigation le long du Rio Grande et la possibilité d’y construire des bassins de rétention.

Lors de congrès internationaux sur l’irrigation tenus en 1894 à Denver (Colorado), et en 1895 à Albuquerque (Nouveau-Mexique), une résolution canadienne a été adoptée à l’unanimité par les délégations mexicaine, canadienne et américaine. Cette résolution recommandait au gouvernement des États-Unis la mise sur pied d’une commission qui, de concert avec les autorités du Canada et du Mexique, serait chargée de régler les différends actuels ou à venir au sujet des eaux internationales des trois pays. Cette résolution canadienne avait pour trame de fond les différends canado-américains au sujet du partage des eaux des rivières St. Marys et Milk, sur la dérivation de Chicago dans le bassin du lac Michigan (qui a fait baisser le niveau moyen des Grands Lacs de 6 pouces), et au sujet des rivières Niagara et St. Marys à Sault-Ste-Marie.

En 1896, le gouvernement canadien a signifié au gouvernement américain, par le biais de l’ambassadeur britannique à Washington, qu’il était prêt à collaborer, par la création d’une commission ou autrement, en vue de la réglementation des cours d’eau limitrophes servant à l’irrigation des terres. Le gouvernement américain n’a répondu qu’en 1902. En vertu des dispositions de la River and Harbour Act, les États-Unis ont fait une contre-proposition qui allait bien au-delà de ce que le Canada envisageait au départ. Cette loi américaine demandait au Président des États-Unis d’inviter le gouvernement de la Grande Bretagne à participer à la mise en place d’une

commission internationale comptant trois membres représentant les intérêts du Dominion du Canada et trois membres représentant les intérêts des États-Unis, et dont le mandat serait d’étudier et faire rapport sur les modalités d’utilisation des eaux limitrophes, incluant tous les cours d’eau qui se jettent dans le bassin du Saint-Laurent et l’océan Atlantique, sur la régularisation de ces cours d’eau à des niveaux acceptables, sur les effets de ces actions sur les berges et sur les structures qui s’y trouvent, sur la navigabilité des cours d’eau suite à la dérivation de ces eaux ou tout autre changement à leurs cours naturels, faire rapport sur les mesures nécessaires afin de réglementer les dérivations et présenter des recommandations pour que les dérivations actuelles ou à venir servent au mieux les intérêts de la navigation dans ces eaux…

Suite à l’acceptation de la proposition américaine par les gouvernements britanniques et canadiens, l’International Waterways Commission a vu le jour. Cette Commission n’a siégé officiellement qu’entre 1905 à 1913. Dès le départ, il y eut une mésentente entre les commissaires, les commissaires américains voulant limiter les travaux de la Commission au bassin des Grands Lacs alors que les commissaires canadiens estimaient que leur juridiction s’étendait à l’ensemble des eaux limitrophes. Les autorités canadiennes on cherché une entente sur un mandat élargi, mais ont néanmoins demandé aux commissaires canadiens de se limiter au mandat proposé par les Américains pour des raisons pratiques. Au cours de son existence, l’International Waterways Commission a lancé plusieurs études mais n’a pas réussi à faire exécuter bon nombre de ses recommandations. Elle aura surtout réussi à faire adopter des principes de gouvernance pour l’utilisation et la dérivation des eaux limitrophes et a recommandé la mise en place d’une commission binationale permanente dotée d’un mandat élargi pour ces questions.

Les négociations en vue de la conclusion d’un nouveau traité ont débuté en 1907. George C. Gibbons, c.r., avocat de London en Ontario et alors président de l’International Waterways Commission, y représentait le Canada. Ses négociations ont été menées en étroite collaboration avec le premier ministre d’alors, Sir Wilfrid Laurier, Pugsley, son ministre des Travaux publics, et James Bryce, l’ambassadeur britannique à Washington. Son interlocuteur américain, Chandler P. Anderson, occupait les fonctions de conseiller juridique spécial auprès du secrétaire d’État Elihu Root. Suite à de longues négociations et plusieurs ébauches, les parties en sont venues à un accord et le Traité relatif aux eaux limitrophes a été signé à Washington le 11 janvier 1909 par le secrétaire d’État Root et par l’ambassadeur Bryce. L’article VII du Traité prévoit la création de la Commission mixte internationale.

Le texte de 1909 contenait des dispositions particulières en vue du règlement de seulement deux différends de l’époque, soit celui portant sur la rivière Niagara et celui portant sur les rivières St. Marys et Milk.

Le Sénat des États-Unis a conseillé la ratification du traité le 3 mars 1909, mais en y ajoutant une note d’interprétation portant sur les droits des riverains le long de la rivière St. Marys à Sault Ste. Marie. Ayant accepté cette note, l’Angleterre a ratifié le traité le 31 mars 1910. Le traité a ensuite été ratifié par le président américain William Howard Taft le 1 avril 1910. Les instruments de ratification ont été échangés à Washington le 5 mai 1910 entre Philander C. Knox, qui avait succédé au secrétaire Root, et l’ambassadeur Bryce. Le protocole d’échange contenait la note d’interprétation du Sénat américain.

La CMI a tenu sa première rencontre le 10 janvier 1912 et a adopté ses premières règles de procédure le 2 février de la même année. Le délais entre la signature du traité et la première rencontre de la Commission est surtout relié au temps qu’il a fallu pour mettre en place le cadre juridique entourant les travaux de la Commission, obtenir les crédits nécessaires au fonctionnement de la Commission et nommer les premiers commissaires. Les premiers commissaires américains ont été nommés au début de 1911. La nomination des commissaires canadiens a été retardée, car les trois commissaires mis de l’avant par le premier ministre libéral Laurier n’avaient pas reçu la sanction royale au jour de sa défaite électorale de 1911. Ce sont les commissaires nommés par son successeur, le conservateur Borden, qui recevront la sanction royale et qui seront les premiers commissaires canadiens.

Depuis son accession à la pleine indépendance, le Canada a été entièrement subrogé dans les droits de la Grande Bretagne aux termes du Traité.

On peut mesurer la clairvoyance des négociateurs du Traité à la lumière de la longévité du texte sur lequel ils sont tombés d’accord. En effet, outre l’article V, le texte du Traité relatif aux eaux limitrophes est resté inchangé depuis un siècle et continue à être l’une des clefs de voûte du processus de prévention et de résolution des différends entre les deux pays.

En vertu de la constitution américaine, le Traité relatif aux eaux limitrophes fait partie du droit américain. De son côté, le Canada a adopté la Loi sur le Traité relatif aux eaux limitrophes en 1911. (Le 5 février 2001, le projet de loi C-6 a été entendu en première lecture. Ce projet de loi visait, entre autres choses, à amender le Traité relatif aux eaux limitrophes en vue d’interdire les prélèvements d’eau du bassin des Grands Lacs.)