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Le sel de voirie épandu dans les villes contribue à une eau plus salée

kevin bunch
Kevin Bunch
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Des études distinctes menées en Ontario et en Ohio indiquent que l’urbanisation croissante au cours des 40 dernières années a été un facteur déterminant dans la salinité accrue des rivières d’eau douce.

Au fil des décennies, le sud de l’Ontario et le bassin versant de la rivière Cuyahoga, en Ohio, se sont urbanisés rapidement à mesure que les villes prenaient de l’expansion dans cette région. Un plus grand nombre de routes en béton, de trottoirs et d’autres infrastructures sont désormais traités en hiver avec du sel de voirie pour empêcher la formation de glace.

Le sel de voirie se compose habituellement de chlorure de magnésium, de chlorure de potassium ou de chlorure de sodium. Au fil du temps, l’eau salée s’écoule dans le réseau d’égouts ou directement dans les ruisseaux et les rivières. De plus, on utilise également du chlorure de calcium pour éliminer la poussière sur les routes, tandis que le chlorure d’aluminium sert à traiter les impuretés des eaux usées.

Bien qu’il soit peu probable que les concentrations de sel dans les Grands Lacs rendent l’eau inutilisable pour les gens, un excès de chlorure (une catégorie fourre-tout pour ces sels) peut en modifier le goût.

De plus, des concentrations suffisamment élevées de chlorure dans les cours d’eau et les lacs peuvent affecter des espèces indigènes comme le touladi ou le grand corégone, qui ont des capacités limitées à survivre dans des eaux saumâtres plus salées. L’eau plus salée peut également faciliter l’établissement et la propagation d’espèces non indigènes, comme les algues marines rouges ou le gobie à taches noires.

Depuis 1974, le Geological Survey des États-Unis collabore avec l’Université Heidelberg de l’Ohio pour échantillonner les affluents du lac Érié ou de la rivière Ohio.

Douglas Kane, un chercheur de Heidelberg, a passé en revue des décennies de données pour les rivières Cuyahoga, Maumee et Sandusky afin de déceler les tendances à long terme concernant le chlorure dans l’eau.

La rivière Cuyahoga s’est démarquée, a dit M. Kane, en ce qui a trait à l’augmentation des concentrations de chlorure au fil du temps.

« Au départ, la quantité de chlorure dans la Cuyahoga se situait en moyenne à 100 milligrammes par litre (mg/l) en hiver », a déclaré M. Kane. « À l’heure actuelle toutefois, elle avoisine les 200 mg/l, donc elle a au moins doublé, et elle est beaucoup plus élevée que celle d’autres rivières. »

Le Canada et les États-Unis appliquent des critères de qualité de l’eau en ce qui concerne le chlorure afin de protéger la vie aquatique.

Selon les lignes directrices américaines, 230 mg/l constitue le seuil d’exposition chronique pour les espèces d’eau douce, et 860 mg/l représente la limite d’exposition à court terme. Les lignes directrices canadiennes sont plus strictes, soit 120 mg/l pour l’exposition chronique et 640 mg/l pour le court terme. Les fonctionnaires canadiens considèrent que ces seuils sont trop élevés pour protéger comme il se doit la lampsile fasciolée une espèce indigène du lac Érié et de ses affluents.

M. Kane a déclaré qu’une quantité constante de chlorure a été maintenue dans l’eau des rivières Maumee et Sandusky au cours de la période de surveillance, soit environ 40 mg/l. Ces deux cours d’eau sont en grande partie ruraux, tandis que la rivière Cuyahoga traverse les zones industrialisées d’Akron et de Cleveland.

Selon M. Kane, ces résultats montrent assez bien que l’augmentation des quantités de chlorure est attribuable au développement urbain et suburbain le long du bassin hydrographique de la rivière Cuyahoga au cours des 40 dernières années. Il a ajouté qu’il ne s’agissait pas d’un problème isolé, car les stations de surveillance d’Environnement et Changement climatique Canada sur la rivière Niagara, à l’extrémité est du lac Érié, ont également constaté une augmentation des concentrations de chlorure au cours de la même période.

Des signaux semblables sont apparus sur la rive nord du lac Érié, dans le sud de l’Ontario. Une étude publiée dans Environmental Research Letters en août 2021 a porté sur des ensembles de données remontant à 1964 recueillies par le Réseau provincial de contrôle de la qualité de l’eau de l’Ontario. Les chercheurs ont principalement échantillonné la plupart des cours d’eau pendant l’été, mais ils ont concentré le projet sur ceux dans lesquels de nombreux échantillons hivernaux avaient aussi été prélevés — soit environ 10 ruisseaux et rivières pour lesquels on disposait de données de 1965 à 1995 et 15 autres, de 2002 à 2018. Seuls deux sites, la rivière Moira et le ruisseau Jackson, sont apparus dans les deux groupes d’échantillonnage.

Comme en Ohio, cette étude a révélé que les concentrations de chlorure augmentaient toute l’année dans les régions urbaines de la province, a déclaré le chef de projet Bhaswati Mazumder, étudiant au doctorat à l’Université Ryerson. Toutefois, les ruisseaux et les rivières des régions rurales affichaient toujours des niveaux de chlorure qui se maintenaient ou augmentaient de façon saisonnière, et où les taux de variation étaient plus élevés en hiver.

Dans certains bassins hydrographiques, on trouve des concentrations élevées de chlorure en été, lorsqu’aucun sel de voirie n’est épandu, et dans de rares cas, les concentrations augmentent en été, a dit M. Mazumder. Les auteurs de l’étude ont tenté d’analyser dans quelle mesure ces tendances à la hausse sont attribuables à la croissance urbaine, aux variations des taux d’épandage de sels de voirie et/ou à la contamination au chlorure existante stockée dans les sols riches et les eaux souterraines de la région. La croissance urbaine n’explique pas toutes les tendances à la hausse, ce qui donne à penser que des changements dans la gestion et/ou le chlorure existant représentent une grande partie du problème.

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L’information provenant du Réseau provincial de contrôle de la qualité de l’eau a été utilisée pour l’étude de M. Mazumder. Source : Bhaswati Mazumder

« Il semble que ce que nous épandons ne va nulle part », a dit M. Mazumder. « Le transport vers le sous-sol est simplement retardé, et ensuite (le chlorure) se déverse lentement vers les cours d’eau plus tard. »

M. Mazumder a déclaré que les futurs modèles de qualité de l’eau doivent tenir compte des changements à long terme de l’écoulement des cours d’eau, compte tenu de la façon dont le débit peut changer de façon spectaculaire selon la saison et les conditions météorologiques, particulièrement en raison des changements climatiques qui influent sur les régimes de précipitations en Ontario et ailleurs. Une mise à jour comprendrait probablement l’élaboration de modèles propres à un cours d’eau et à ses voies d’écoulement. M. Mazumder a également souligné la nécessité de disposer d’une plus grande quantité de données accessibles sur le débit à long terme et de surveiller la qualité de l’eau au Canada.

En Ohio, M. Kane prévoit compiler les données de l’Ohio Environmental Protection Agency sur d’autres voies navigables. Cela comprend les ruisseaux et les cours d’eau qui se déversent dans les principales rivières qu’il a examinées pour repérer les points chauds où le chlorure pénètre dans l’eau. M. Kane espère également obtenir des renseignements sur d’autres cours d’eau où les niveaux de chlorure sont élevés, comme le ruisseau Wolf, qui traverse Toledo, et le ruisseau Coldwater, un cours d’eau agricole. M. Kane et ses collaborateurs, Laura Johnson et Nate Manning, du National Center for Water Quality Research, soumettent leurs travaux au Journal of Great Lakes Research.

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Kevin Bunch

Kevin Bunch is a writer-communications specialist at the IJC’s US Section office in Washington, D.C.

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